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AVIS DE RECHERCHE

Le récit :

Avis de recherche

 

 

Aux commandes d’une Peugeot, un homme, Benjamin, la trentaine, cheveux foncés coupés courts, visage ovale, yeux clairs, l’air détendu, serein, heureux de cheminer vers la salle de sport, après une absence de 3 mois en raison du confinement imposé par le Gouvernement pour cause de Covid.  Sa destination : la rue du Four.  Il s’en approche doucement.  Le bonheur est là.  Il l’atteindra juste après le virage.

 

Un bonheur de courte durée. 

 

Au tournant, il stoppe.  Un panneau de déviation s’impose à sa vue.  Impossible d’accéder à la salle de sport.  « La rue est en chantier pour un mois», lui signale un passant.

 

Un bonheur de courte durée - un désespoir immense. 

 

Son bonheur massacré, sa bouffée d’oxygène réduite en miettes en un instant.  Benjamin peste, jure, secoue le volant, le martèle de ses poings fermés.  La rage monte en lui.  Il hurle : «Je rejoins la salle comment, moi ? ».

 

Il s’en prend à l’agent de sécurité, chargé de dévier la circulation des véhicules à moteur.  Il l’insulte.

 

-         Bande d’idiots !  Vous vous foutez du monde !

 

Choqué, outré, l’agent lui rétorque : «Faites comme tout le monde, demi-tour et vous accèderez au bâtiment par l’arrière, via la rue aux Briques.

 

Furieux, Benjamin enclenche la marche arrière et démarre en trombe, sans apercevoir le piéton engagé sur sa trajectoire.

 

Conscient du véhicule fou, flairant le danger, celui-ci se précipite, et, en un bond, atterrit sur le trottoir et se met à l’abri.  Une grande frayeur mais pas de mal.

 

Surpris, Benjamin freine de toutes ses forces.  Ses doigts se crispent, enserrent le volant.  Sa respiration se bloque, son corps entier se tend à l’extrême. 

Sous la pression, le véhicule s’arrête net ; basculant son buste de l’arrière vers l’avant.  L’homme crie, vocifère, frappe le capot, le pare-brise de la voiture, mais Benjamin ne l’entend pas, ne le voit pas.  Il tremble, il tremble de peur.  Les souvenirs affluent à sa mémoire.  En un éclair, il revit l’accident qui le priva de ses jambes, le priva d’un emploi  qu’il aimait profondément, d’un métier qu’il exerçait avec passion, le priva de sa vie d’avant.

 

-         Un policier à terre !  Ici le Commandant de la Brigade d’intervention.  Envoyez une ambulance à l’intersection de la rue Lepic et de la rue Forbant.

-         Elle est en route.  Que s’est-il passé ?

-         La manifestation a mal tourné. Un mouvement de foule, des jets de pavés, de barrières nadar nous ont obligés à nous réfugier dans la bouche de métro.  Notre collègue n’a pu nous rejoindre et une voiture l’a fauché au passage, avant de prendre la fuite.  Nous sommes parvenus à le soustraire à la cohue, mais il est en mauvais état.  Il est inconscient

 

Le hurlement de la sirène l’apaise.  Benjamin ouvre les yeux, aperçoit des hommes en blouse blanche, plonge à nouveau dans un semi coma.

 

-         Nous arrivons avec un policier blessé lors d’une manifestation.  L’homme mesure environ 1m80 pour approximativement 80 Kg.  Il présente des blessures superficielles à la tête, mais il ne réagit plus.  Hémorragie interne probable, tension artérielle et pulsations faibles.  Nous le perfusons.  Préparez un bloc opératoire.

-         Bien reçu. 

 

Reprenant conscience avec la réalité, Benjamin se sent coupable, coupable d’avoir insulté l’agent de sécurité, coupable de s’être emporté, et surtout et avant tout coupable et honteux d’avoir failli renverser quelqu’un.  L’homme continue à tambouriner sur la vitre, Benjamin s’excuse, le supplie de l’excuser.  La victime se calme enfin, lève les bras, hausse les épaules, prononce des mots que Benjamin ne saisit pas.  Au bout de quelques minutes, il s’apaise et redémarre.

 

Rue aux Briques, 7 – Arrière du bâtiment abritant la salle de sport.  Benjamin constate que l’unique place réservée aux personnes handicapé(es) est heureusement disponible.  Il s’y engouffre. Coupe le moteur, inspire, expire, respire enfin.  Des larmes lui montent aux yeux, ruissellent sur son visage.  De ses mains, il les essuie. 

 

L’émotion le submerge à nouveau.  Il n’en peut plus.  Ses larmes coulent à flots, impossible de les retenir, de les contenir.  Il s’en veut.

 

-         Cela en vaut-il la peine Bon Dieu ?

 

La tête entre les mains, il sait pourtant qu’il est incapable de renoncer à sa drogue.  Sans elle, sa vie n’aurait plus de sens.  Fréquenter la salle de sport est devenue une addiction.  Y renoncer impliquerait pour lui de renoncer à vivre. 

 

Renoncer à vivre le ramènerait à l’état végétatif dans lequel il se complaisait juste après l’accident, voici un peu plus d’une année.  Grâce au témoignage de personnes ayant surmonté les obstacles les uns après les autres, il avait émergé de cet état léthargique, leur avait emboîté le pas.

 

Ne supportant plus la compassion, les apitoiements, la pitié de ses proches, l’alcool qu’il ingurgitait par lampées chaque jour, chaque nuit. Il s’était réveillé et s’était fixé pour objectif d’être intégré à l’équipe nationale de basket et de participer aux jeux paralympiques.  Il fréquentait assidûment la salle de sport, s’y rendait 6 matinées par semaine, à raison de 4 heures par jour pour y subir un entraînement intensif.  Les entraînements de basket se déroulaient les après-midis et il n’en avait manqué aucun jusqu’au confinement.

A l’instant présent, il se sent vidé de toute énergie, dénué de toute envie, privé de tout espoir.  Il faut qu’il sorte de cette voiture, qu’il s’aère.  Il n’a pas le choix.  C’est ici et maintenant que se profile son futur.

 

Il ouvre la porte, sort sa voiturette, la déplie, se soulève à bout de bras et s’y laisse glisser.

 

Encore opprimé par ses ressentis, il respire profondément, et via la passerelle réservée aux personnes à mobilité réduite, atteint la porte d’entrée.

 

Dans le bâtiment, le sas d’entrée se divise en deux longs couloirs éclairés par des néons.  Deux trajectoires s’offrent à lui ; la droite est fléchée en rouge à même le sol, la seconde en bleu.   Aucune indication ne permet de définir la voie à suivre pour accéder à la salle de sport.  D’instinct, il opte  pour le couloir situé à sa gauche, arrive devant une porte dont il saisit la poignée.

 

Aucun bruit, aucune vie n’émergent de l’endroit.  Après quelques hésitations, s’écartant légèrement, il se décide finalement à la franchir.

 

De prime abord, une émanation désagréable lui monte au nez.  Un mélange d’odeurs poussiéreuses, humides, de relents de tabac refroidi, de friture, de champignons, de moisissures agresse ses narines.  L’endroit n’a pas été fréquenté, aéré depuis longtemps déjà, aucun doute. L’obscurité y règne et l’impression qu’il en ressent est glaciale.  Intrigué, Benjamin avance cependant la main le long du mur situé à sa droite, tâtonne à la recherche d’un interrupteur qu’il finit par repérer.

 

Un tour vers la gauche et la lumière fuse.

 

-         Mais où ai-je atterri ?  Qu’est-ce que c’est que ce foutoir ?  Décidément, c’est un grand jour !, s’exclame-t-il.

 

Des vêtements, des chaussures, des malles, des sièges semblent avoir été abandonnés là depuis des lustres.  Il se décide à en opérer l’inventaire, prenant comme point de repère un panneau blanc central, posé contre un mur noir.  Cependant, à en juger par l’angle que forme le mur avec le plafond, ce rectangle blanc ne peut en être le centre.  A l’évidence, la majorité des éléments sont jumelés.  Mais, si l’on s’en tient à cette logique, des accessoires manquent à l’échiquier.  Il en relève un tout particulièrement : un fauteuil à roulettes, revêtu d’un anorak à capuche dont il ne repère pas le double.

 

Tout concourt à lui embrouiller l’esprit.  L’effet miroir trouble sa perception des choses.  Il songe alors au jeu « Trouver les erreurs, les différences » et s’applique à les détecter.

 

Son expérience de policier vient à la rescousse.  Il s’aventure dans le local ; l’espace s’amenuise.  Témoin privilégié, il entreprend le relevé de la scène qui s’offre à lui.  A voix haute, il énumère :

 

-         Des vêtements s’amoncèlent sur des tréteaux.  Des chaussures jonchent le sol, au-devant de malles ouvertes regorgeant de choses diverses.

-         Cinq sièges dont : deux chaises vertes identiques, recouvertes d’une veste en fourrure - deux chaises blanches en plastique, distinctes par le fait que l’une d’elle n’a pas les quatre pieds posés au sol.  Elles semblent être disposées pour une réunion présidée par le fauteuil à roulettes qui me fait face directement.

 

De plus en plus intrigué, Benjamin pénètre plus avant dans ce décor insolite.  L’odorat se substitue à la vision.  Son sens olfactif très développé détecte une nouvelle senteur.  Elle émerge de l’ensemble et diminue ou s’amplifie, selon qu’il s’approche ou s’éloigne d’une malle.  Curieusement, elle s’immisce dans ses narines, dans sa tête, dans son esprit ;

 

-         Un parfum à la violette ?  Un parfum à la violette !…  Le parfum de… grand-mère !

 

Tandis qu’il se penche vers la malle, un écho le happe, lui murmure: « Fouille, fouille et tu trouveras ce que tu es venu chercher ».

 

Il se retourne.  Personne.  Il est seul, seul avec ce parfum et cet écho qui résonnent en lui.  Une onde le parcourt de la tête aux pieds. 

 

Les sens exacerbés, Benjamin perd contact avec la réalité.  La tête lui tourne.  Il suffoque.  Le flacon ! Il doit absolument le trouver, le toucher, le respirer en inhaler jusqu’à la dernière goutte, en emplir son esprit, ses poumons, son cœur, son être tout entier.

 

Frénétiquement, il se met à explorer la malle, en éjecte des vêtements et une multitude d’objets disparates qui ne représentent rien pour lui. 

 

Le parfum à la violette et l’écho s’amplifient. 

 

-         Fouille et tu trouveras ce que tu es venu chercher.

 

La malle est vide !  Il n’y a rien !  Je ne cherche rien !  Je ne trouve rien !, hurle-t-il.

 

Furieux, Benjamin entreprend de remettre le tout dans la malle lorsqu’un bruit sourd le fait sursauter.  Quelque chose a roulé vers la seconde malle.  Il s’en approche.  S’étirant vers le bas, ses doigts rencontrent une forme sphérique qu’il ramène vers lui.

 

Ses yeux s’illuminent d’un regard enfantin à la vue de sa découverte.  Délicatement, il pose ce trésor au centre de sa main et le caresse.  Il le saisit entre les doigts et le fait tourner sur lui-même.  Cette petite boîte ne pèse rien ou presque.  Sa couleur a pâli avec le temps mais il peut encore en décrypter quelques inscriptions « Musica – Replica – Ritornello ».

 

Une boîte à musique !          

 

Il la pose au creux de sa main gauche, en saisit la petite manivelle entre le pouce et l’index de sa main droite et l’actionne…  Une mélodie qu’il reconnaît aussitôt s’en échappe.  Il fredonne.

 

·        Mi - Ré - Mi - Ré  - Mi - Si - Ré-  Do – La

·        Do - Mi - La - Si - Mi - Sol - Si – Do

·        Mi – Ré – Mi – Ré – Mi – Si – Ré – Do – La

·        Do – Mi – La – Si – Mi – Do – Si –La

·        ….

 

« Pour Elise »…  Cette mélodie, il la connaît. 

 

« Pour Elise »…  Sa grand-mère, assise devant ce piano en bois brun.  Ses mains fines effleurent le clavier, doucement, délicatement.

 

« Pour Elise »… Il l’écoute des heures entières.  Il fait doux dehors ; le printemps s’annonce et, les yeux fermés, il s’imagine  être le clavier sur lequel les doigts de sa grand-mère pianotent.

 

« Pour Elise »…  L’hiver, lorsque le froid vous transperce, la mélodie se mêle à l’odeur de chocolat chaud à la cannelle qui flotte dans la maison.  « Encore un peu de patience », lui dit-elle en souriant.  L’attente n’est jamais bien longue.  La porte s’ouvre, laissant pénétrer le vent et son grand-père, les joues rougies par le froid.  Il tient dans les mains le gâteau à la pomme qu’il vient de sortir du four, situé dans l’annexe.  Ainsi rassemblés, tous trois se dirigent vers la cuisine.  Grand-père et lui s’assoient, tandis que  grand-mère remplit de grands bols de ce nectar qu’ils adorent, coupe le gâteau, les sert, avant de les rejoindre à table.

 

« Pour Elise »… Parfois grand-mère l’’invite à la rejoindre sur son banc.  Il pose alors les doigts sur les notes qu’elle lui indique, et, d’une petite pression, enfonce les touches blanches ou noires.  La mélodie surgit de ce géant de bois, rien que pour elle et lui.

 

Bien qu’il n’y ait d’autre accès que la porte qu’il avait empruntée, une légère brise l’effleura.  Plongé dans ses pensées, Benjamin frissonna de la tête aux pieds, pour la seconde fois.

 

« Pour Elise »…  Lorsque sa grand-mère mourut, le géant de bois fut vendu.  Elise s’étant tue, Benjamin l’avait oubliée.

 

-         Comment ai-je pu oublier ?  Tous ces souvenirs occultés !  Comment ai-je pu oublier ?

 

Occulter…  Ce verbe résonne dans sa tête.  Assurément, la clé de son énigme se trouve ici, dans cet endroit, gardien de souvenirs et d’objets hétéroclites. 

 

« Fouille, fouille et tu trouveras ce que tu es venu chercher », se répète Benjamin.

 

Décontenancé, il ferme les yeux, laisse son instinct le guider, plonge la main dans la seconde malle.  Un bruit de papier froissé retient son attention.  Il s’en saisit.  Eprouvant une certaine résistance pour l’en extraire, il lâche prise.  « Je deviens fou », se dit-il.

 

Le parfum à la violette se renforce, embaume à nouveau son espace.  La boîte à musique, tombée au sol, égrène quelques notes.  La violette, la mélodie, Elise, sa grand-mère balaient toutes ses incertitudes.

 

Occulter…  « Fouille, fouille et tu trouveras ce que tu es venu chercher ».

 

-         Qu’ai-je donc occulté qui puisse m’apporter la solution ?

 

Peu à peu, les pièces du puzzle semblent se mettre en place. 

 

Benjamin reprend confiance en lui.  Il est sur la bonne piste ; il le sent.  Il s’enhardit, plonge à nouveau la main dans la malle et en extirpe un livre : « Lève-toi et marche ».

 

-         Non !  C’est une mauvaise plaisanterie !, hurle-il.  Qu’ai-je fait pour que le sort s’acharne ainsi sur moi ?

 

Son dos, sa tête le font atrocement souffrir.  Alors qu’il redresse le buste et s’étire, ses jambes sont envahies de spasmes, lui donnant l’impression que des milliers de fourmis l’assaillent des orteils à la taille.

 

-         C’est impossible !  C’est un cauchemar que je suis en train d’endurer !

 

Cependant…

 

Occulter…  « Fouille, fouille et tu trouveras ce que tu es venu chercher », lui dicte son esprit.

 

Benjamin se sent misérable, regarde le livre, le feuillette et lit : « Non, je ne suis pas, je ne serai pas une infirme ordinaire, que mon orgueil bouleverse mes défaillances ! ».

 

Complètement désemparé, Benjamin n’éprouve qu’une envie : quitter cet endroit maudit.  Maladroitement, il pivote son fauteuil vers la droite, en saisit nerveusement les roues, les fait tourner, tourner… avant de les bloquer brusquement 

 

« Fouille, fouille et tu trouveras ce que tu es venu chercher ». 

 

Benjamin sait.  Il se souvient…

 

Il se souvient des dernières paroles prononcées par le médecin qui l’a suivi en revalidation : « Vous pourriez remarcher mais ça demandera du temps et une énorme volonté ».

 

-         « Vous pourriez remarcher mais ça demandera du temps et une énorme volonté », se répète Benjamin.   Bon sang !  Comment ai-je pu oublier ? 

 

Son destin l’a conduit jusqu’ici pour une raison bien précise : y trouver ce qu’il est venu y chercher.

 

La vie reprend sa place dans sa tête, dans son corps.  Il est calme, serein, heureux en cet instant magique.  il inspire profondément, pose les mains sur les roues de son siège, les active, et, lentement, rejoint l’entrée du sanctuaire. 

 

Arrivé à hauteur du fauteuil à roulettes, il s’arrête, pose une main dessus, tandis que l’autre s’attarde sur sa chaise.  Il murmure : « Vous serez bientôt réunis, je vous en fais la promesse ».

 

Le cœur rempli d’espoir, il s’en éloigne sans regret, jette un dernier regard par-dessus son épaule, avance la main vers l’interrupteur situé à sa gauche et, d’un clic, la lumière s’éteint, replongeant dans le noir ces objets surannés.

 

Benjamin referme la porte, s’aventure sur le chemin emprunté en sens inverse quelques heures plus tôt.  Au loin, il aperçoit un rayon de soleil.  « La vie est belle et elle m’attend», se dit-il. 

 

                                                                        Viviane Franqué

Nom ou pseudo de l'auteur : Viviane Franqué
AvisDeRecherche (Mon texte)
créée le 10.09.2022 à 11:45, mise à jour le 10.09.2022 à 11:45.

Chanson "Le confinement" (sur l'air de " Ce rêve bleu")

Le récit :

Dans notre grande maison,

On a créé une chanson,

Pour raconter les occupations,

D'Lucie, Chloé, Marion.

On n'sennuie pas souvent,

Grâce à note petite maman.

On rit, on pense, on chante en rêvant

Et c'est amusant!


Le confinement, c'est pas marrant, mais plus prudent.

C'est pas si embêtant

Ensemble on passe beaucoup de temps, de moments.

Le confinement, c'est pas marrant pour les amis

Et toute la famille, on pense à vous on vous envoie plein

de bisous chez vous...


Maintenant mon papa,

Toi qui n'es pas beaucoup là.

Tu travailles, tu dépannes, au service de tous tes clients...

Pourtant quand tu es là,

Tu travailles avec moi,

J'adore aussi quand tu joues, tu ris, tu t'occupes de nous...



Le confinement, c'est pas marrant, mais plus prudent.

C'est pas si embêtant

Ensemble on passe beaucoup de temps, de moments.

Le confinement, c'est pas marrant pour les amis

Et toute la famille, on pense à vous on vous envoie plein

de bisous chez vous...


Chanté par Lucie et Marion.



Nom ou pseudo de l'auteur : Schiettecatte Jessica
ChansonLeConfinementSurLAirDeCeRev (Mon texte)
créée le 14.04.2020 à 12:55, mise à jour le 14.04.2020 à 12:55.

Focalisation : faire parler un élément naturel. La vague.

Le récit :

J'exerce le métier de vague.
Parfois douce, je fouette les jambes des bambins qui s'amusent à sauter par-dessus ma crête blanchâtre.
Je ramène sur le rivage des coquillages, des bouts de bois flottés qui font le bonheur de quelques promeneurs.
Les jouvencelles en quête de sensations me confient leurs corps que je caresse avec plaisir.
Mais ne vous méprenez pas, mon caractère est lunatique et en quelques heures, je déferle sans crier gare sur des plages jusqu'ici paisibles.
Combien de jeunes confiants, s'amusant de mes assauts ont péri noyés à quelques mètres de leurs parents ?
Les surfeurs me recherchent afin d'éprouver des sensations de liberté.
Ma force est immense et ma persévérance sans fin.
Je creuse des grottes, ronge les falaises, détruis les maisons que les hommes pensaient avoir construites en toute sécurité.
Les marins me craignent car mes vagues scélérates sont capables d'endommager leurs navires.
J'engendre des tsunamis, des raz-de-marée et la désolation des habitants des zones côtières.
Et tout à coup, enfin repue, je m'éloigne doucement en me promettant de revenir en compagnie de mon ami le vent lécher à nouveau les côtes de mes rides moussues.

Nom ou pseudo de l'auteur : Danielle Fievez
FocalisationFaireParlerUnElementNaturel (Mon texte)
créée le 08.09.2022 à 21:27, mise à jour le 08.09.2022 à 21:27.

Incipit : Ma mère n'a pas d'amis.(Régine Vandamme)

Le récit :

Ma mère n'a pas d'amis.

Pas d'amies non plus d'ailleurs.
Elle vit à la campagne, isolée, un peu sauvage.
Vous pensez qu'elle s'ennuie ?
Pas du tout.  La plupart du temps, elle est dehors entourée de sa volaille, gourmandant les unes trop voraces, houspillant les autres trop tapageuses, réprimandant celles-là trop agressives.
"Vas par-là toi."
"Silence mauvais sujet."
"Du balai, la vilaine."
Le soir elle s'évertue à rentrer sa basse-cour dans un nuage de plumes et de poussière.
Les poules sont les plus récalcitrantes à rejoindre leur enclos.
Les canards, dociles, se suivent à la queue leu leu cancanant leur désapprobation.
Quant aux oies, belliqueuses, elles sifflent en signe de protestation mais finissent par rentrer.
Alors, satisfaite, ma mère rejoint la maison et termine sa soirée seule au coin du feu.

Comme je vous disais, ma mère n'a pas d'amis.

Nom ou pseudo de l'auteur : Danielle Fievez
IncipitMaMereNAPasDAmisRegineVandam (Mon texte)
créée le 08.09.2022 à 20:52, mise à jour le 08.09.2022 à 20:52.

LA RENCONTRE

Le récit :

LA RENCONTRE

 

 

Un géant est tombé.  Sous le choc, la dune s’est effondrée et l’animal en dessine un nouveau contour  Après un ultime combat, la créature s’est couchée sur le flanc.  Sa tête, légèrement relevée, a touché le sol là où la terre et le sable se confondent.  Sa peau, sa chair ont disparu depuis longtemps déjà.  Ne subsiste qu’une colonne vertébrale d’où émergent de petites excroissances semblables à des pyramides.  Les pattes gigantesques, repliées sous le corps immense, témoignent du terrible drame qui s’est déroulé là, il y a des millénaires.  Des êtres-branches squelettiques s’en repaissent, tandis que d’autres veillent sur la dépouille de l’ancêtre.  L’adversaire devait être féroce et bien plus grand encore que ce géant que vient d’esquisser Paul. 

 

Une scène qui le hante chaque nuit.  Pour l’extraire de sa tête, il s’est résigné à la reproduire sur ce mur, s’est défendu d’y apposer d’autres teintes que celles du désespoir. 

 

Ses pinceaux se sont activés plus vite que ses mains.  Pantin désarticulé, parcouru de soubresauts, son corps s’est agité dans tous les sens.  Au bout d’une heure à peine, il était épuisé. 

 

Paul, la trentaine, visage et lunettes carrés, front dégarni, cheveux courts et foncés, dénudé jusqu’à la ceinture, porte une cigarette à la bouche, et tient, dans sa main gauche, un briquet allumé.

 

Aucune ride, aucun sillon ne creuse son visage.  Aucune émotion n’y transparait.  Il est de ceux qu’on l’on évite par peur ou par mépris, tant leur aspect, leur allure, leur dégaine dérangent, mettent mal à l’aise.  Est-il chercheur, savant, un être enfermé dans sa bulle, un ange déchu ou encore… un dangereux psychopathe ?  Je l’ignore.  Seul le regard perçant et dur témoigne d’une vie chez cet homme.  Il se délecte de son œuvre, de ce paysage ravagé.

 

-      Il me suffirait d’y mettre le feu pour lui redonner vie, se dit-il.

 

Le feu, il l’aime.  Il s’imagine enflammer l’œuvre et y voir apparaître un attelage de 4 chevaux s’emballant pour lui échapper, pour fuir ce ciel laiteux, ce sol ocre et verdâtre.  Dans leur course effrénée, les montures se sont débarrassées de leur charretier, de leur maître.  Elles ne maîtrisent plus rien.  Elles sont à sa merci.

 

Un claquement de pieds…  Paul sursaute. 

 

Une fillette, vêtue de rose, de hauts bas blancs, de chaussures noires, attire son attention.  Elle porte au bras un petit sac à main.  « L’innocence à l’état pur », se dit-il, le sourire aux lèvres.  Des rayons de soleil se reflètent dans ses yeux, en durcissent l’éclat. Elle lui tourne le dos mais elle est proche de lui, si proche qu’il l'atteindrait juste en bougeant la main.

 

« Une enfant de 7 ou 8 ans.  A peine plus âgée que moi lorsque je fus « livré » aux soldats ».

 

 

-      Prenez mon fils !  S’il vous plait, prenez mon fils !

-      Plus de place, madame, plus de place.

 

Dans un vacarme assourdissant, Paul est propulsé dans les airs.  Sa mère l’a jeté dans les bras d’un homme en uniforme, avant de prendre la fuite.  Déconcerté, le militaire n’a d’autre choix que de l’asseoir dans le camion, au milieu d’autres gamins.  Ils sont des dizaines à avoir été confiés par leurs parents aux mains d’inconnus et, tous, hurlent, pleurent bruyamment.

 

Une sirène retentit.

 

- Démarre, démarre, ça va bombarder.

 

Le camion roule vite, zigzague entre les tirs de roquettes.  La bâche arrière est levée, imprimant dans la mémoire des petits la vision de maisons détruites, de villages dévastés, de rues grouillant d’adultes courant dans tous les sens pour se mettre à l’abri. 

 

Un long et pénible périple commence pour eux, pour lui.  Loin de chez eux, loin de chez lui.

 

Le voyage en avion se déroule sans encombre.  Ils atterrissent sur un sol étranger.  Les yeux hagards, écarquillés, apeurés, on les aligne.  Les filles à gauche, les garçons à droite.  En files indiennes, ils rejoignent des dortoirs où un lit leur est affecté.  On les mène à la douche.  On leur ôte leurs vêtements.  On leur en donne d’autres, parfois trop courts, parfois trop grands.

 

Impossible de dormir, les nuits sont longues, entrecoupées par les pleurs des enfants réclamant leur papa, leur maman. 

 

Chaque jour, le destin favorise cependant d’heureuses retrouvailles.  Après Manuel, Isabella, et tant d’autres, c’est aujourd’hui LE grand jour pour Carlo, son ami.  Il est blotti, là, sous ses yeux, dans les bras de ses parents.

 

Paul ne reverra jamais les siens. Pas de grand jour pour lui.   Balloté de famille d’accueil en famille d’accueil, il grandit solitaire, sans attaches, sans espoirs ; l’attente les a balayés.

 

Parvenu à l’âge adulte, ayant hérité de son père un don pour la peinture, il se met tout d’abord à dessiner et puis à peindre. 

 

L’absence de sa mère garde béante une plaie dans son cœur.  Par peur de l’oublier, il se la remémore encore et encore.  Son visage s’est dilué dans sa mémoire.  Il s’est évaporé.  Il l’ébauche sous les traits d’une nymphe, émergeant d’un mur recouvert de lierre.  Cette fée, sa fée a le pouvoir de lire dans le cœur des êtres, d’en détecter non seulement les côtés obscurs mais également le bien qui s’y cache.  La femme-lierre se fond dans un mur feuillu, n’est visible que pour lui.  Elle n’appartient qu’à lui.

 

Ses tableaux lui rapportent à peine de quoi subsister. 

 

Crève-la-faim, il ne peint cependant pas que pour vivre, ne dessine pas que pour survivre.  Ses œuvres l’exorcisent, donnent un sens à sa vie, lui rappellent qui il est et d’où il vient, lui gardent la mémoire de ce qu’il a perdu, de ce dont il a manqué.  Elles sont lui jusqu’au plus profond de son être, lui confèrent une identité.

 

Un jour, une dame gloussa : « La douleur dans vos œuvres est si … réelle.  C’est sublime !  « M-A-G-N-I-F-I-Q-U-E » !  Je la veux.  Je vous la prends ».

 

La douleur, SA douleur…  sublime ?  Magnifique ?  Paul eut un haut-le-cœur. L’acquéreuse potentielle ne comprit pas ce qui lui arrivait.  Furieux, fou de rage et de désespoir, Paul détruisit la toile en y mettant le feu. 

 

 

 

-      Bonjour, dit Paul.

 

La petite fille ne bouge pas.  Durant un long moment, Paul l’observe, remarque qu’elle est fascinée par une libellule noire au corps rouge, posée en oblique sur une tige de roseau.  L’animal dévore une guêpe.   Absorbée par la scène, elle ignore l’homme qui se tient si près d’elle. 

 

L’avenue du Port est vide en ce matin de printemps, vide à l’exception de Paul, de la gamine et d’un ivrogne allongé sur un transat à rayures.  Sept transats identiques, disposés côte à côte sur l’autre versant de la rue.  Paul les passe en revue chaque soir : un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept.  Le compte y est.  Le troisième est présentement occupé par un homme.  Un homme ?  Non.  Une épave.

 

Insomniaque, toutes les nuits, Paul erre sur la plage, arpente la cité.  Cette nuit, apercevant une forme humaine titubant et grelottant, il s’en était approché, avait tout de suite repéré les effluves d’alcool.  Se dénudant jusqu’à la taille, il avait allongé le misérable sur le siège central, l’avait recouvert de sa chemise, de son pull et de sa veste, se retrouvant, lui, à moitié nu.

 

-      Bonjour », dit Paul. 

 

La fillette ne réagit pas. 

 

-      Bonjour, répète-t-il. 

 

Elle daigne enfin tourner la tête vers lui, lui sourit.

 

-      Tu as vu ?  La bête a mangé la bestiole.  Elle avait très faim.  Elle n’a rien laissé.

-      Oui, elle devait être affamée.  Comment t appelles-tu ?

-      Alice.  Et toi ?

-      Paul. 

-      Pourquoi tu es tout nu ?

 

A son tour, Paul ne répond pas.  Il lui prend la main.  Elle est chaude.  Sa chaleur active le sang dans ses veines.  Il est vivant ! 

 

-      Aimerais-tu voir un château ?, lui demande-t-il.

-      Un château ?  Où ça ?

-      Regarde là bas.  Tu vois ces murs ?  Si nous les franchissons, tu découvriras des trésors et tous tes vœux se réaliseront.

 

Des étoiles scintillent dans les yeux d’Alice.  « Le premier qui arrive a gagné », s’écrie-t-elle tout en s’élançant pour prendre de l’avance.

 

Ces paroles enfantines atteignent Paul en plein cœur, déclenchent en lui une envie de vivre telle qu’il abandonne sur place tout ce à quoi il tient depuis près de 20 années : toiles, fusains, pastels, peintures, pinceaux jonchent le sol, abandonnés aux dunes sombres, aux transats, à l’ivrogne. 

 

Un bonheur inouï s’est immiscé dans son cœur.  Le soleil éclaire une petite barrière en bois blanc, au-delà de laquelle Alice et Paul aperçoivent un domaine vers lequel ils se dirigent.

 

-      Des ruines !  Ce ne sont que des ruines !, se lamente Alice, déçue en constatant qu’il n’y a ni château, ni trésor. 

 

Attirée par les cris de l’enfant, une femme, revêtue de noir et à la tenue provocante, interpelle Paul.  « Hé bien !  On cherche de la compagnie ?  Un endroit calme et isolé où assouvir ses plus bas instincts, mon beau monsieur ?  Vous l’avez trouvé », dit-elle en ricanant.

 

Paul décide de rebrousser chemin.  « Viens, ce n’est pas un endroit pour toi.   Je me suis trompé.  Il n’y a pas de château.  Tu as raison, ce ne sont que des ruines ».  Bien décidé à veiller sur elle, il saisit Alice par le bras.  Elle a confiance en lui.  C’est la première fois que quelqu’un lui accorde sa confiance, ne le juge pas, n’est pas effrayé en sa présence.  La première fois aussi que quelqu’un lui adresse la parole, depuis des mois. 

 

-      Partons découvrir la ville.  Tu veux bien ?  Tu y verras des maisons qui s’élèvent jusqu’au ciel, si hautes qu’en y montant, tu pourras toucher les nuages.

-      Et peut-être même la lune ?, demanda Alice  Elle riait.  Je prendrai mon skate-board, et nous n’aurons pas besoin de fusée.  Il suffira que tu nous élances très fort.

-      Oui, dit Paul que la petite apaisait.  Nous pourrons l’atteindre et tu apercevras alors la terre à partir de l’univers.  Sais-tu, qu’autrefois, on l’’appelait la « planète bleue », mais, qu’aujourd’hui, elle est devenue verte ?

-      Verte ?, dit Alice.  Verte comme une forêt ?

-      Oui, verte comme une forêt mais une forêt en partie asséchée, jaunie, brûlée, grillée dans laquelle la rouille a laissé des traces.

-      Des traces ?, demande Alice.  De quelles traces parles-tu ?

-      Imagine une forêt dans laquelle on a abandonné tout ce dont on ne veut plus, tout ce dont on veut se débarrasser.  Une carcasse de voiture, par exemple.  La forêt ne peut tout engloutir, tout digérer  Cette carcasse, ces déchets ont souillé notre forêt.  Elle est polluée.  Elle se meurt.

-      C’est triste, dit Alice.

-      Très triste, lui répondit Paul.  Mais, si tu m’aides, à nous deux, nous pouvons la sauver !

 

Ils échangèrent un regard complice, heureux, plein de promesses. 

 

Puis leurs sourires s’évanouirent.  Au loin retentissaient des sirènes.  Des chiens aboyaient.

 

« Je l’ai retrouvée !  Elle est vivante ! », crie un policier.

 

Des hommes accourent vers eux.  Les rejoignent.

 

-      Promets-moi de ne jamais m’oublier, dit Paul.

-      Je te le promets.  Croix de bois, crois de fer, si je mens, je vais en enfer.

 

Paul sourit car il savait qu’elle disait vrai.

 

Paul est heureux.  A défaut de savoir où on l’emmène, il sait maintenant qui il est ;  Il est l’ami d’Alice.  Il n’est plus seul.  Ne sera plus jamais seul.  Cette nuit, le sommeil le prendra.  Il en est persuadé.  Il rejoindra alors Alice dans ses rêves et construira avec elle ce monde idéal qu’ils ont à peine eu le temps d’évoquer.

 

 

                                                                  Viviane Franqué

Nom ou pseudo de l'auteur : Viviane Franqué
LaRencontre (Mon texte)
créée le 10.09.2022 à 11:49, mise à jour le 10.09.2022 à 11:49.

LE GOUPIL

Le récit :

LE GOUPIL  

 

 

Une myriade de lumières miroitait dans ses prunelles.  Celles de la ville toute proche.  Phares d’automobiles qui se croisent, s’entrecroisent.  Enseignes de magasins, de casino, de salles de spectacle, de cinéma qui scintillent…  Autant de lucioles qui l’attiraient indubitablement vers une nouvelle aventure, sans doute plus rocambolesque encore que les précédentes.  Mon ami n’était jamais à court d’idées pour nos vacances d’automne.

 

Quels que furent ses projets, je ne doutai pas un instant que Cramuseau, mon renard adoré, parviendrait à ses fins.  Et, comme toujours, je serais du voyage, moi, sa meilleure amie, petite puce électronique dernier cri, progrès de la technologie, introduite sous sa peau par des scientifiques soucieux de sa sécurité. 

 

Un matin de septembre, ce devait être un lundi, car, la veille, nous avions profité de l’absence des propriétaires pour visiter un poulailler et opérer quelques emplettes.  Fervents pratiquants, ils ne manquaient aucun office religieux.  Notre tranquillité était donc assurée. 

 

Je disais donc… Un matin de septembre, je sentis mon ami frétiller plus qu’à l’accoutumée.  Je l’entendis soupirer.  Je sus, dès lors, que notre départ était annoncé.

 

Contrairement à son habitude, Cramuseau se coucha tard et se leva tôt.  Jetant un dernier regard sur la tanière, vieux terrier qu’une marmotte avait déserté et dans lequel nous avions emménagé, il s’élança à travers bois et rejoignit la clairière où des chasseurs se rassemblaient.

 

Quel projet avait-il donc en tête ?  .

 

Lumières, cinéma, scénario… - Titre du film : « Une virée en ville ».  Je m’en doutai.

 

D’emblée, le déroulé se profila dans mon petit cerveau.  

 

Facétieux, notre goupil.  Le spectacle ?  Il adore ! 

 

Attention !  On tourne !  Ca débobine…

 

Au premier coup de fusil, Cramuseau fit un triple axel, virevolta dans les airs avant de se laisser choir mollement sur le sol.  Il fit le mort.

 

-      Je l’ai eu !  Je l’ai eu !, cria un homme qui se dirigea vers nous aussitôt.

 

Il empoigna mon ami par les pattes de derrière.  Sa tête balançait de gauche à droite, de droite à gauche, tant et si bien que j’en perdis la boussole.  Etais-je accroché au sud, au nord, à l’est, à l’ouest ?  Je n’eus pas le temps de m’en inquiéter vraiment car une seconde voix entama la conversation.

 

-      Belle bête.  Belle pièce, intacte, impossible de voir où tu l’as touchée.  Au marché noir, tu en tireras des mille et des cents. 

 

Sur ces dernières paroles, l’heureux chasseur prit la route pour se rendre chez le pelletier[1] du conté et y négocier le prix de sa chasse.

 

-      Et l’homme…  Cette bête t’intéresse ?

-      Pour sûr !  Quelle aubaine !  Une donzelle me talonne depuis des semaines pour que je lui fournisse une étole en fourrure argentée.

 

Le marché fut rapidement conclu.

 

Gisant sur une peau de chamois, une puce à l’agonie me révéla les épreuves que devrait réussir mon ami pour que son souhait devienne réalité : écorchage/dépeçage, salage, séchage, apprêtage/décharnage, dégraissage, pickelage[2] et enfin le tannage qui s’opérait dans une cuve spécialement conçue à cet effet.

 

L’oreille aux aguets, Cramuseau en saisit tous les mots, en perçut tous les maux.

 

Facétieux et futé. 

 

La nuit, subrepticement, il louvoya, se faufila, se glissa sous la pile des déjà écorchés, salés, séchés, apprêtés, dégraissés.  

 

Au petit matin, profitant de l’absence du pelletier, il se laissa couler dans la solution salée.  Et hop ! Pickelage, terminé.  Heureusement pour moi, il ne pickela pas bien longtemps.  A plusieurs reprises, je crus perdre la vie mais je tins bon.

 

Tout trempé, en catimini, il escalada la pile de caisses en bois, emboîtées les unes sur les autres, agrippa avec les dents le fil tiré d’un mur à l’autre, s’y laissa pendre pour sécher auprès de congénères bien moins chanceux.

 

Facétieux, futé mais dépaysé et décontenancé plus que d’ordinaire, Cramuseau ne put se soustraire à la dernière épreuve : celle de la boutonnière !

 

Spectateur privilégié, j’observai au plus près ce travail fastidieux.  Et je dois avouer qu’il fut parfaitement exécuté.  Cramuseau y mit du sien, je dois le reconnaître.  Il ne broncha pas, même lorsque l’aiguille s’enfonça, plusieurs fois d’affilée, dans son cuissot.  Pas de sursaut, de glapissements, de claquements de crocs.  Un véritable héros mon Cramuseau.  En secret, je l’admirais.

 

Au jour convenu, la donzelle vint chercher sa commande.

 

Magnifique !, s’exclama-t-elle.  On le croirait vivant !

 

Aussi improbable que cela puisse paraître, mon ami avait réussi son pari et nous nous dirigions à présent, en voiture, vers la ville.

 

Dès l’entrée dans la cité, une odeur inconnue et férocement désagréable heurta nos narines.  Elle provenait de tuyaux disposés sous les voitures, émanait de cheminées de maisons et d’usines.  Cramuseau éprouva beaucoup de difficultés à se retenir de toussoter. 

 

Au sortir de l’auto, négligemment, la gente dame attrapa son étole par le museau, s’en couvrit les épaules, leva haut la tête.  Elle se dandina fièrement jusqu’au porche du numéro 7 de la rue Sésame.

 

D’emblée et sans ménagement, notre hôtesse nous fourra dans une armoire.  Nouveaux citadins, nous avions piètre allure, suspendus à un porte-manteau.  Nous tombâmes nez à nez avec une belette peu loquace.  Que dis-je ?  Muette, indifférente à toutes tentatives de séduction.  Cramuseau usa de son charme, de belles paroles, d’un regard enjôleur.  Rien n’y fit.  Nada…  Elle l’ignora.

 

Qu’importe, le gîte étant gratuit, ce petit inconvénient ne nous pesait guère.  Nous décidâmes, à notre tour, d’ignorer l’insolente, tout simplement.

 

Nous coulâmes quelques jours heureux bien au chaud.  Un peu trop chaud peut-être, parfois.  Mais nous nous en accommodâmes. 

 

Alors que nous somnolions, la porte du cagibi s’ouvrit.  Sans scrupules, la belle interrompit notre sommeil.  « Nous sortons ce soir, mon trésor.  En route pour l’opéra ». 

 

Cramuseau fut balloté dans tous les sens pour, finalement, atterrir tête en bas. Sur l’opulente poitrine de la dame  J’étais aux premières loges.  Je vis ses yeux écarquillés, ses narines pincées.  C’en était assez ! Ce n’était pas les vacances dont il avait rêvé. 

 

Je traduisais ces signes avant-coureurs : sa forêt lui manquait.  Ouf !, me dis-je.  Nous rentrerons bientôt à la maison.

 

Mais comment allait-il se sortir de ce guêpier ? 

 

Facétieux, futé et rusé.  Une idée de génie germa dans son esprit.

 

Tout le monde en voiture ! 

 

Nous roulions depuis quelques minutes… 

 

Je sentis mon ami s’agiter, remuer le nez, souffler dans le coup de la belle.  Puis, il lâcha un pet.  Et quel pet !  Pouah !  Une infection !

 

-      Oh secours !  mon renard est ensorcelé !, s’écria la donzelle.

 

Le chauffeur stoppa net, sortit de la voiture, courut, ouvrit la portière pour sauver sa patronne en détresse.  Profitant de la confusion, Cramuseau se déroula, se déroba aux mains qui voulaient le saisir.  Ayant effectué quatre fois le tour de l’habitacle, il avait repéré les lieux et surtout la sortie.  Il atteignit le tableau de bord.  Nous étions sauvés.  Il était aux commandes. 

 

Ca allait swinguer.  Anticipant ce que je pressentais, j’empruntai quelques poils à mon hôte et je m’harnachai.

 

Un court instant, Cramuseau hésita, reprit son souffle.  Puis d’un bond souple et long, il s’élança, ébouriffant au passage le chignon de la donzelle qui ne cessait de gesticuler.

 

Cramuseau était libre.  Et moi aussi, par la même occasion.  Il prit à travers champ, sans se retourner.  De mémoire de renard, aucun d’eux, jusque-là, n’avait entamé le marathon à une telle vitesse.

                                                  

Si d’’aventure, vous décidiez de vous promener dans les bois, espérant croiser cet espiègle, aisément vous le reconnaitrez.  Cramuseau est le seul renardeau arborant fièrement une queue panachée et boutonnée.

 

Mais si vous voulez l’attraper, le piéger pour exhiber sa belle fourrure, retenez bien cette maxime : « Ne tentez jamais d’abuser un renard avant de vous être assuré qu’il ait été dégoupillé ».

 

 

                                                                  Viviane Franqué



[1] Artisan qui prépare les fourrures imputrescibles et aptes à la couture.

[2] Bain d’eau et de vinaigre

Nom ou pseudo de l'auteur : Viviane Franqué
LeGoupil (Mon texte)
créée le 10.09.2022 à 11:48, mise à jour le 10.09.2022 à 11:48.

Variation de point de vue. Ascenseur émotionnel.

Le récit :

C'est l'agitation au 6ième étage.  On déménage, une fois de plus.
On vide, on trie, on jette.
Que vais-je devenir ?
Voilà quelques années que j'accompagne Marcel dans son travail.
Dès qu'il a besoin de son agrafeuse, de ses ciseaux, de sa perforatrice, je réponds présent.
Un dossier, une lettre, une facture et me voilà ouvert, fouillé.
Parfois, il m'injurie lorsque coincé par un objet volumineux, je tarde à m'ouvrir.
Aujourd'hui, complètement nu, entouré de caisses en carton, je tremble de peur.
Va-t-il m'emmener avec lui ?
Fichue informatique qui déteste le papier et prône le classement fichier plutôt que le classement tiroir.
Suis-je promis à la décharge ?
Jusqu'à la fin de la journée, je reste sur mes gardes.
Voilà 17h.
Marcel met son manteau, il pose sa mallette sur moi et de ses deux mains me pousse vers l'ascenseur.

Sauvé...hum...pas tout à fait.
Une de mes roulettes s'est coincée dans la rainure de la porte de l'élévateur.
Autour de moi on soupire, on me pousse, on me tire, on m'insulte.
Ouf, deux ouvriers arrivent.  Ils sont munis d'une boîte à outil couleur rouge sang qui ne me dit rien qui vaille.
Les deux quidams me secouent, s'emparent d'un pied de biche et d'un coup sec, me voilà libéré.
Mes rouent couinent de joie.
En route vers de nouvelles aventures et tant pis pour ces râleurs qui me contournent sans ménagement pour rejoindre la sortie.
Cette fois, j'en suis sûre, Marcel et moi nous continuerons notre cohabitation même si parfois il s'énerve sur mes lenteurs, mes grincements, mes blocages.
Je reste à ses côtés.



Nom ou pseudo de l'auteur : Danielle Fievez
VariationDePointDeVueAscenseurEmotionne (Mon texte)
créée le 08.09.2022 à 21:14, mise à jour le 08.09.2022 à 21:14.