LE GOUPIL

Le récit :

LE GOUPIL  

 

 

Une myriade de lumières miroitait dans ses prunelles.  Celles de la ville toute proche.  Phares d’automobiles qui se croisent, s’entrecroisent.  Enseignes de magasins, de casino, de salles de spectacle, de cinéma qui scintillent…  Autant de lucioles qui l’attiraient indubitablement vers une nouvelle aventure, sans doute plus rocambolesque encore que les précédentes.  Mon ami n’était jamais à court d’idées pour nos vacances d’automne.

 

Quels que furent ses projets, je ne doutai pas un instant que Cramuseau, mon renard adoré, parviendrait à ses fins.  Et, comme toujours, je serais du voyage, moi, sa meilleure amie, petite puce électronique dernier cri, progrès de la technologie, introduite sous sa peau par des scientifiques soucieux de sa sécurité. 

 

Un matin de septembre, ce devait être un lundi, car, la veille, nous avions profité de l’absence des propriétaires pour visiter un poulailler et opérer quelques emplettes.  Fervents pratiquants, ils ne manquaient aucun office religieux.  Notre tranquillité était donc assurée. 

 

Je disais donc… Un matin de septembre, je sentis mon ami frétiller plus qu’à l’accoutumée.  Je l’entendis soupirer.  Je sus, dès lors, que notre départ était annoncé.

 

Contrairement à son habitude, Cramuseau se coucha tard et se leva tôt.  Jetant un dernier regard sur la tanière, vieux terrier qu’une marmotte avait déserté et dans lequel nous avions emménagé, il s’élança à travers bois et rejoignit la clairière où des chasseurs se rassemblaient.

 

Quel projet avait-il donc en tête ?  .

 

Lumières, cinéma, scénario… - Titre du film : « Une virée en ville ».  Je m’en doutai.

 

D’emblée, le déroulé se profila dans mon petit cerveau.  

 

Facétieux, notre goupil.  Le spectacle ?  Il adore ! 

 

Attention !  On tourne !  Ca débobine…

 

Au premier coup de fusil, Cramuseau fit un triple axel, virevolta dans les airs avant de se laisser choir mollement sur le sol.  Il fit le mort.

 

-      Je l’ai eu !  Je l’ai eu !, cria un homme qui se dirigea vers nous aussitôt.

 

Il empoigna mon ami par les pattes de derrière.  Sa tête balançait de gauche à droite, de droite à gauche, tant et si bien que j’en perdis la boussole.  Etais-je accroché au sud, au nord, à l’est, à l’ouest ?  Je n’eus pas le temps de m’en inquiéter vraiment car une seconde voix entama la conversation.

 

-      Belle bête.  Belle pièce, intacte, impossible de voir où tu l’as touchée.  Au marché noir, tu en tireras des mille et des cents. 

 

Sur ces dernières paroles, l’heureux chasseur prit la route pour se rendre chez le pelletierMsoFootnoteReference "><span class="MsoFootnoteReference "><span lang="FR" style="font-size: 14pt;">[1]</span></span></span></a>
du conté et y négocier le prix de sa chasse.</span></p><p class="MsoNormal " style="text-align:justify"><span lang="FR" style="font-size:
14.0pt;font-family:"Arial","sans-serif""> </span></p><p class="MsoNormal " style="margin-left:36.0pt;text-align:justify;text-indent:
-18.0pt;mso-list:l0 level1 lfo1;tab-stops:list 36.0pt"><span lang="FR" style="font-size:14.0pt;font-family:"Arial","sans-serif";mso-fareast-font-family:
Arial">-<span style="font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-stretch: normal; font-size: 7pt; line-height: normal; font-family: "Times New Roman";">     
</span></span><span lang="FR" style="font-size:14.0pt;
font-family:"Arial","sans-serif"">Et l’homme… 
Cette bête t’intéresse ?</span></p><p class="MsoNormal " style="margin-left:36.0pt;text-align:justify;text-indent:
-18.0pt;mso-list:l0 level1 lfo1;tab-stops:list 36.0pt"><span lang="FR" style="font-size:14.0pt;font-family:"Arial","sans-serif";mso-fareast-font-family:
Arial">-<span style="font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-stretch: normal; font-size: 7pt; line-height: normal; font-family: "Times New Roman";">     
</span></span><span lang="FR" style="font-size:14.0pt;
font-family:"Arial","sans-serif"">Pour sûr !  Quelle aubaine !  Une donzelle me talonne depuis des semaines
pour que je lui fournisse une étole en fourrure argentée.</span></p><p class="MsoNormal " style="text-align:justify"><span lang="FR" style="font-size:
14.0pt;font-family:"Arial","sans-serif""> </span></p><p class="MsoNormal " style="text-align:justify"><span lang="FR" style="font-size:
14.0pt;font-family:"Arial","sans-serif"">Le marché fut rapidement conclu.</span></p><p class="MsoNormal " style="text-align:justify"><span lang="FR" style="font-size:
14.0pt;font-family:"Arial","sans-serif""> </span></p><p class="MsoNormal " style="text-align:justify"><span lang="FR" style="font-size:
14.0pt;font-family:"Arial","sans-serif"">Gisant sur une peau de chamois, une
puce à l’agonie me révéla les épreuves que devrait réussir mon ami pour que son
souhait devienne réalité : écorchage/dépeçage, salage, séchage, apprêtage/décharnage,
dégraissage, pickelage<a href="file:///C:/Users/user/Desktop/RECUEIL/LE%20GOUPIL.doc#_ftn2" name="_ftnref2" title=>[2] et enfin le tannage qui s’opérait dans une cuve spécialement conçue à cet effet.

 

L’oreille aux aguets, Cramuseau en saisit tous les mots, en perçut tous les maux.

 

Facétieux et futé. 

 

La nuit, subrepticement, il louvoya, se faufila, se glissa sous la pile des déjà écorchés, salés, séchés, apprêtés, dégraissés.  

 

Au petit matin, profitant de l’absence du pelletier, il se laissa couler dans la solution salée.  Et hop ! Pickelage, terminé.  Heureusement pour moi, il ne pickela pas bien longtemps.  A plusieurs reprises, je crus perdre la vie mais je tins bon.

 

Tout trempé, en catimini, il escalada la pile de caisses en bois, emboîtées les unes sur les autres, agrippa avec les dents le fil tiré d’un mur à l’autre, s’y laissa pendre pour sécher auprès de congénères bien moins chanceux.

 

Facétieux, futé mais dépaysé et décontenancé plus que d’ordinaire, Cramuseau ne put se soustraire à la dernière épreuve : celle de la boutonnière !

 

Spectateur privilégié, j’observai au plus près ce travail fastidieux.  Et je dois avouer qu’il fut parfaitement exécuté.  Cramuseau y mit du sien, je dois le reconnaître.  Il ne broncha pas, même lorsque l’aiguille s’enfonça, plusieurs fois d’affilée, dans son cuissot.  Pas de sursaut, de glapissements, de claquements de crocs.  Un véritable héros mon Cramuseau.  En secret, je l’admirais.

 

Au jour convenu, la donzelle vint chercher sa commande.

 

Magnifique !, s’exclama-t-elle.  On le croirait vivant !

 

Aussi improbable que cela puisse paraître, mon ami avait réussi son pari et nous nous dirigions à présent, en voiture, vers la ville.

 

Dès l’entrée dans la cité, une odeur inconnue et férocement désagréable heurta nos narines.  Elle provenait de tuyaux disposés sous les voitures, émanait de cheminées de maisons et d’usines.  Cramuseau éprouva beaucoup de difficultés à se retenir de toussoter. 

 

Au sortir de l’auto, négligemment, la gente dame attrapa son étole par le museau, s’en couvrit les épaules, leva haut la tête.  Elle se dandina fièrement jusqu’au porche du numéro 7 de la rue Sésame.

 

D’emblée et sans ménagement, notre hôtesse nous fourra dans une armoire.  Nouveaux citadins, nous avions piètre allure, suspendus à un porte-manteau.  Nous tombâmes nez à nez avec une belette peu loquace.  Que dis-je ?  Muette, indifférente à toutes tentatives de séduction.  Cramuseau usa de son charme, de belles paroles, d’un regard enjôleur.  Rien n’y fit.  Nada…  Elle l’ignora.

 

Qu’importe, le gîte étant gratuit, ce petit inconvénient ne nous pesait guère.  Nous décidâmes, à notre tour, d’ignorer l’insolente, tout simplement.

 

Nous coulâmes quelques jours heureux bien au chaud.  Un peu trop chaud peut-être, parfois.  Mais nous nous en accommodâmes. 

 

Alors que nous somnolions, la porte du cagibi s’ouvrit.  Sans scrupules, la belle interrompit notre sommeil.  « Nous sortons ce soir, mon trésor.  En route pour l’opéra ». 

 

Cramuseau fut balloté dans tous les sens pour, finalement, atterrir tête en bas. Sur l’opulente poitrine de la dame  J’étais aux premières loges.  Je vis ses yeux écarquillés, ses narines pincées.  C’en était assez ! Ce n’était pas les vacances dont il avait rêvé. 

 

Je traduisais ces signes avant-coureurs : sa forêt lui manquait.  Ouf !, me dis-je.  Nous rentrerons bientôt à la maison.

 

Mais comment allait-il se sortir de ce guêpier ? 

 

Facétieux, futé et rusé.  Une idée de génie germa dans son esprit.

 

Tout le monde en voiture ! 

 

Nous roulions depuis quelques minutes… 

 

Je sentis mon ami s’agiter, remuer le nez, souffler dans le coup de la belle.  Puis, il lâcha un pet.  Et quel pet !  Pouah !  Une infection !

 

-      Oh secours !  mon renard est ensorcelé !, s’écria la donzelle.

 

Le chauffeur stoppa net, sortit de la voiture, courut, ouvrit la portière pour sauver sa patronne en détresse.  Profitant de la confusion, Cramuseau se déroula, se déroba aux mains qui voulaient le saisir.  Ayant effectué quatre fois le tour de l’habitacle, il avait repéré les lieux et surtout la sortie.  Il atteignit le tableau de bord.  Nous étions sauvés.  Il était aux commandes. 

 

Ca allait swinguer.  Anticipant ce que je pressentais, j’empruntai quelques poils à mon hôte et je m’harnachai.

 

Un court instant, Cramuseau hésita, reprit son souffle.  Puis d’un bond souple et long, il s’élança, ébouriffant au passage le chignon de la donzelle qui ne cessait de gesticuler.

 

Cramuseau était libre.  Et moi aussi, par la même occasion.  Il prit à travers champ, sans se retourner.  De mémoire de renard, aucun d’eux, jusque-là, n’avait entamé le marathon à une telle vitesse.

                                                  

Si d’’aventure, vous décidiez de vous promener dans les bois, espérant croiser cet espiègle, aisément vous le reconnaitrez.  Cramuseau est le seul renardeau arborant fièrement une queue panachée et boutonnée.

 

Mais si vous voulez l’attraper, le piéger pour exhiber sa belle fourrure, retenez bien cette maxime : « Ne tentez jamais d’abuser un renard avant de vous être assuré qu’il ait été dégoupillé ».

 

 

                                                                  Viviane Franqué



MsoFootnoteReference "><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;font-family:
"Times New Roman","serif";mso-fareast-font-family:"Times New Roman";mso-ansi-language:
FR;mso-fareast-language:FR;mso-bidi-language:AR-SA">[1]</span></span></a><span lang="FR"> Artisan qui prépare les fourrures imputrescibles et aptes à la couture.</span></p>

</div>

<div id="ftn2">

<p class="MsoFootnoteText "><a href="file:///C:/Users/user/Desktop/RECUEIL/LE%20GOUPIL.doc#_ftnref2" name="_ftn2" title=>[2] Bain d’eau et de vinaigre

Nom ou pseudo de l'auteur : Viviane Franqué