l'influence insoupconnée d'une minorité

Mais si, aujourd'hui comme alors, une minorité active se dresse, cela suffira, nous aurons le levain pour que la pâte lève. Stéphane Hessel

On peut douter qu'à quelques uns nous puissions vraiment changer les choses, faire évoluer les pratiques mais...
une minorité active et confiante sous-estime souvent le poids qu'elle peut avoir ;-)


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Comment un individu ou une minorité peut-elle exercer une influence sur un groupe ou sur une majorité alors qu'ils ne jouissent pas d'une autorité suffisante et n'ont pas à priori la confiance des autres?
Généralement, les individus se conforment pour éviter de se distinguer. Ils rejettent l'idée de se voir associés à un individu ou à une minorité "déviante".
Dans ce contexte, comment expliquer l'innovation, l'arrivée de changement ?

C'est Moscovici qui va initier les travaux sur l'influence minoritaire. Son ambition est d'offrir une théorie de l'influence qui puissent rendre compte des faits historiques tels que le développement du féminisme, la révolution copernicienne ou encore l'impact de Martin Luther King, Galilée, Nelson Mandela...

D'après Moscovici en 1985, "le grand tournant est le passage de la déviance à la minorité active".
Il ajoute: "Pendant très longtemps, un grand nombre d'individus étaient versés dans des catégories déviantes, étaient traités et se traitaient en tant qu'objets, voire en tant que résidus de la société normale. Depuis peu, ces catégories se changent en minorités actives, créent des mouvements collectifs ou participent à leur création. Autrement dit, des groupes qui étaient définis et se définissaient, le plus souvent, de manière négative et pathologique par rapport au code social dominant, sont devenus des groupes qui possèdent leur code propre et, en outre, le proposent aux autres à titre de modèle ou de solution de rechange. Par conséquent, il ne faut plus les compter parmi les objets mais les Sujets sociaux."

Pour comprendre l'influence minoritaire, il faut se pencher sur le caractère inconscient des phénomènes d'Influence sociale en partant sur la notion de conflit.

Lorsque tout à chacun est confronté à une opinion qui diffère de la sienne, on éprouve un certain déplaisir. Les individus ont tendance à fuir ce type de tension et recherche le consensus. La majorité compte précisément sur ce malaise pour engendrer la conformité.

Cela étant, un individu ou une minorité qui a une opinion propre et qui veut exprimer un jugement neuf ne peut éviter le conflit.
C'est par "le conflit" qu'une minorité dissidente va insister sur ses idées, ses différences par rapport à la majorité.

Le comportement ferme et confiant de la minorité instaure le doute, attire l'attention, signale l'existence d'un point de vu alternatif, démontre l'attachement de la minorité à sa position et annonce que le seul moyen de sortir du conflit consiste à prendre en considération son point de vue.
Pour Moscovici, la minorité force les membres de la majorité à se lancer dans un processus de validation dans le sens où elle oblige la majorité à analyser le contenu de son message de manière approfondie.

Pour Moscovici, lorsqu'un individu se sait l'objet d'une influence, il éprouve un sentiment d'ambivalence. Cependant selon que la source d'influence émane d'une minorité ou d'une majorité, cette ambivalence n'est pas la même:
  • Face à une majorité, les individus expriment plutôt une attirance publique et une réserve ou une hostilité privée.
  • Face à une minorité, les individus peuvent éprouver dans le même temps une hostilité publique, une admiration, voir même une envie privée.

C'est dans ce cadre que Merton nous dit en 1961 "Agissant ouvertement plutôt que secrètement, et évidemment conscient qu'il s'attire de sévères sanctions du groupe, le non-conformiste tend dans une certaine mesure à s'attirer le respect, même si ce respect est enfoui sous d'épaisses couches d'hostilité déclarée et de haine chez ceux qui ressentent que leurs sentiments, leurs intérêts et leurs statuts sont menacés par les dires et les actions du non-conformiste."

Gardons confiance : Pour invalider l'opinion adverse, il faut s'y pencher et la comprendre. Ce sont ces activités qui constituent le prélude à un processus d'intégration de l'information et d'appropriation des idées. (et donc plus on résiste à un agent d'influence, plus on a de risque de lui céder sur le long terme ;-)

Et si 5% de la population se mettait à agir différemment...
A l’Université de Leeds, en Angleterre, des chercheurs anglais se passionnent depuis des années pour les mécanismes par lesquels les animaux donnent forme à leurs comportements de groupe : les nuées d’oiseaux ou d’insectes, les bancs de poissons, les troupeaux de buffles, de moutons... tous capables de prendre des décisions collectives sans pourtant jamais se parler ! Pour voir s’il en allait de même avec les humains, ils ont demandé à deux cents volontaires de marcher dans un immense hall en tous sens, mais sans jamais être à plus d’une longueur de bras d’une autre personne. Seules dix personnes avaient reçu - séparément - des instructions sur une direction à prendre dans leur marche. Or, au bout de quelques minutes tout le groupe adoptait la même direction et devenait parfaitement organisé. Sans un seul échange de paroles, ni aucune suggestion préalable de "faire comme les autres". Cinq pour cent !! Si 5% d'entre-nous se mettait à montrer une voie plus respectueuse de l'environnement et des autres, nous pourrions contribuer à changer le comportement d’une société entière. Ces phénomènes d’auto-organisation se produisent sans qu’un chef ne commande la direction à prendre. Tous les individus finissent par suivre ceux qui ont la plus forte motivation à aller dans un certain sens. Dans l’expérience de Leeds, les 10 personnes ayant déterminé une direction avaient donc une motivation plus forte à s’y rendre.

Pistes d'actions

  • S'entourer de complices (même peu) pour devenir une minorité d'influence
  • Travailler ses zones d'optimisme pour
    • Garder de la constance : elle se veut aussi bien « interne » (ou intra-individuelle : la personne semble convaincue de ce qu'elle affirme) que « sociale » (ou inter-individuelle : le groupe minoritaire adopte une position ferme et valide). Une minorité unie, cohérente et constante est beaucoup plus efficace face à la majorité.
    • Garder de la confiance : avoir confiance en soi ou, en tout cas, en donner l’impression est beaucoup plus convaincant. Une minorité confiante est plus efficace face à la majorité.
  • chouchouter les personnes qui quittent la position de la majorité pour se rallier à celle de la minorité car elles sont encore plus influentes que celles qui ont initié le mouvement d’innovation. De plus, une fois qu’un individu rejoint l’avis de la minorité, les autres suivent relativement vite. On peut parler d’une sorte d’effet « boule de neige ».
  • Créer des moments de discussion, ce qui permet d’exposer plus d’arguments. La minorité peut alors avoir plus d’une occasion d’exposer son point de vue, ce qui augmente ses chances de convaincre.

Sources