Favoriser la compostabilité


Pour rendre plus concrète et opérationnelle la notion de compostabilité, voyons ensemble quelques astuces pour augmenter les possibilités de partage sincère de la richesse des collectifs.
En effet, une réutilisation réelle et perenne des richesses mises en partage nécessite une réflexion approfondie touchant à de nombreux aspects des projets.

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Protéger ses créations par des licences libres

Bien qu'il ne soit pas suffisant, le volet juridique est la pierre angulaire de la compostabilité : il permet de garantir les conditions de partage de vos richesses sur la durée. En effet, si l'on souhaite que chacun soit juridiquement en droit de réutiliser une ressource partagée, il est indispensable de la protéger. La protection n'est pas utilisée ici pour en limiter l'accès, mais plutôt pour en éviter tout accaparement privatif.

L'outil juridique le plus répandu pour protéger une ressource et en favoriser le partage sont les licences Creative Commons (CC). Il existe différentes licences Creative Commons, vous trouverez toutes les informations utiles sur le site dédié et dans les nombreux articles disponibles sur le web.

La licence CC BY SA est la seule adaptée à la compostabilité des ressources car elle accorde le droit à la diffusion et à la modification de la ressource par tous et pour tout usage (même commercial) en en préservant la durabilité. Deux conditions s'appliquent à ce droit et ce sont elles qui protègent réellement la ressource :
  • BY - l'obligation de citer le ou les auteurs de la ressource
  • SA - l'obligation de partager la ressource et ses modifications sous les mêmes conditions de licence (Share Alike)

La licence CC BY SA est donc bien adaptée à nos usages puisqu'elle permet la réutilisation par tous des richesses de chacun. Elle présente également l'énorme avantage d'être contaminante : une fois qu'une ressource est placée sous cette licence, ses utilisateurs se retrouvent dans l'obligation de partager à leur tour !

Pour aller plus loin : Lire « Les réseaux qui durent sont sous licence CC BY SA»
Action ;-) => faites l'essai de placer (même pour le fun) un document sous licence libre via le site web


Décontextualiser et choisir des formats réutilisables

Si la loi permet la réutilisation d'un contenu de par sa licence, il ne sera pas nécessairement appropriable par d'autre s'il est trop contextualisé ou s'il est mis à disposition sous des formats rendant difficile sa modification. Nous devons prendre soin d'utiliser des formats sincèrement réutilisables tant sur la forme que sur le fond.

Concernant la forme, il s'agit de privilégier des formats ouverts : les PDF sont adaptés à la diffusion mais rendent complexes la reprise du texte et l'export des images. Prenons donc l'habitude de partager aussi nos fichiers source en dissociant fichier de texte et sources multimédia par exemple, tant pour les PDF que pour d'autres services de diffusion (prezi, youtube,...).

Concernant le fond, il s'agit surtout de décontextualiser nos ressources. Si nous préparons un support de formation sur l'animation de réunion par exemple, nous devons isoler les éléments type « méthodes d'animation » des éléments type « théories du fonctionnement des groupes ». Ainsi, chaque sujet pourra être repris indépendamment.

Toutes ces opérations peuvent prendre du temps, mais si elles sont intégrées dés le début, il suffit de penser à conserver des traces du contenu avant sa version finale. Par exemple, conserver les illustration et le texte relatif à un article, même si nous choisissons ensuite d'en faire un PDF pour sa diffusion. Cela évite d'avoir à « dégrader » nos ressources a posteriori pour les rendre réutilisables par d'autres. Gardons en tête que si nous investissons du temps pour mettre à disposition des contenus, cela n'aura servi à rien s'ils sont trop contextualisés ou partagés sous de mauvais formats.

La compostabilité correspond à des logiques d'organisation de type stigmergique : la réutilisation doit pouvoir se faire naturellement sans demander d"effort supplémentaire. Chaque élément partagé a pour mission de laisser une trace que l'autre pourra comprendre et utiliser sans peine.


Sanctuariser l'interdépendance par l'interopérabilité

Afin de favoriser la réutilisation efficiente de nos ressources, nous devons nous évertuer à les rendre inter-opérables. Vaste sujet dans une société du numérique, l'interopérabilité tient en fait de la décontextualisation maximale de la ressource : il s'agit de respecter des standard communément admis. Cette standardisation permettra à d'autres, dans d'autres contextes, de pouvoir faire usage de nos ressources le plus simplement possible... tout comme nous aurons accès à celles des autres si nous intégrons ces standards à nos habitudes.

On peut ainsi relever trois natures d'interopérabilité :
  • Sémantiques : s'accorder sur un vocabulaire commun (thésaurus, mots-clés,...)
  • Numérique : s'accorder sur un format commun (xml, json,...)
  • Juridiques : s'accorder sur un droit de réutilisation commun (licences CC, GNU/GPL,..)
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L'interopérabilité - cc by Leandro Cluffo

Rendre interopérables les richesses mises à disposition sur le web est un enjeu aussi primordial que laborieux. Il faut se mettre d'accord au-delà des frontières linguistiques et culturelles puisque les standards doivent s'appliquer à des communautés éparses. Les enjeux sont aussi d'ordre politique, puisque les choix opérés sur chacune des trois natures d'interopérabilité auront des conséquences directes sur les usages. C'est notamment pour cette raison que l'intégration des DRM aux standards du web a fait tant de débat : cela remettait en cause le fondement politique historique d'un internet du partage sans condition.

Prendre le temps de construire l'interopérabilité, c'est assumer que nous sommes tous interdépendants, que rien de censé ne peut naître d'un seul individu. Si l'humain croit pouvoir agir seul, c'est qu'il se connaît mal lui-même : pour que son corps fonctionne il héberge un nombre de bactéries supérieur à celui de ses propres cellules et constitue ainsi un écosystème interdépendant. Une fois brisé le mythe de la solution providentielle, nous n'avons d'autres choix que de fonctionner sur des logiques d'archipels : chaque communauté a un sens, mais ne peut survivre sans être reliée aux autres, ce qui suppose nécessairement un langage commun.

En permettant à des projets différents de suivre des voies variées tout en continuant à communiquer autour de ce qui leur est commun, l'interopérabilité crée des organisations plus décentralisées. En décentralisant les organisations tout en renforçant le lien qui les relie, l'interopérabilité génère des « effets de lisière » : ce sont ces rencontres entre les mondes différents qui rendent possible l'expérimentation et favorise l'invention de réponses nouvelles à des problématiques communes.

L'utilisation des logiciels opensource facilitent grandement l'interopérabilité. (Le découvrir via une infographie)

Action ;-) => réfléchissez à - ces contenus de cours sont ils décontextualisés, interopérables ? vos contenus ? votre rapport avec les logiciels opensource...


Bâtir des architectures inclusives et conviviales


Pour chaque projet ou structure, nous avons intérêt à développer des formes d'organisation qui soient des outils inclusifs et conviviaux (qui ne suscitent ni maîtres ni esclaves ). L'architecture de nos projets doit être pensée pour favoriser la capacité de chacun à agir sans l'enfermer : c'est un espace fertile de libre accueil et circulation des idées, des personnes et de leurs contributions. C'est alors l'organisation qui s'adapte naturellement aux contributeurs et non l'inverse !

L'architecture d'une organisation est inclusive et conviviale lorsque chaque nouvel arrivant est en capacité d'en comprendre le fonctionnement, de contribuer à l'évolution de ses règles, de disposer de ses ressources et de les enrichir selon des modalités claires. Ainsi, si l'intégration de nouvelles personnes est facilitée à son maximum, leur sortie l'est également. Il n'y a plus de frein à partir car cela ne représente plus une charge ni émotionnelle ni économique tant pour le collectif (qui perd quelqu'un mais conserve ses apports) que pour l'individu (qui ne remet pas en cause le collectif par son départ et peut emporter ce qui lui est utile).

Une architecture conviviale s'adaptera ainsi mieux aux changements interne et externes et favorisera la contribution de tous à la structure. Elle sera résiliente, capable de muter, et ne s'acharnera pas à lutter contre les éléments pour survivre à tout prix.

« Si les outils ne sont pas dès maintenant soumis à un contrôle politique, la coopération des bureaucrates du bien-être et des bureaucrates de l’idéologie nous fera crever de “bonheur”. La liberté et la dignité de l’être humain continueront à se dégrader, ainsi s’établira un asservissement sans précédent de l’homme à son outil. » (Ivan Illich in La convivialité)


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Le Yeswiki - gare centreale d'Outils Réseaux

La gare centrale, voie vers une architecture inclusive

La notion de « gare centrale » est un outil de gestion de projet interne qui capitalise l'ensemble des informations utiles aux membres du groupe. Il rend visible, transparente et accessible la gouvernance et la manière de s'y investir. Il s'agit généralement d'un espace en ligne, souvent sous forme de wiki, qui regroupe notamment :
  • Les éléments de définition et de gouvernance du projet,
  • Les dates de rendez-vous liés au projet,
  • La liste des ressources communes utiles au groupe (les « Communs »),
  • La liste des outils utilisés ainsi que leurs règles d'usage au sein du groupe (espaces de coécriture, services de stockage de document, listes de discussion mail, ...)
  • Un annuaire et une cartographie des membres du groupe

S'assurer de la pérennité du partage

Si une ressource est pensée pour être réutilisée, elle ne le sera effectivement que si l'espace qui l'héberge nous survit. Le numérique nous permet alors de partager largement, simplement et de manière perenne pourvu que l'on s'en donne la peine.

Utiliser des espaces pré-existants, régis par des règles de fonctionnement démocratiques constitue une option qui laisse espérer une pérennité de l'espace de partage la plus longue possible. Alors si vous devez partager :
  • Un savoir encyclopédique : préférez Wikipédia.
  • Une photo : choisissez Wikimedia Commons.
  • Une information cartographique : contribuez à Open Street Map.

Intégrer les règles de contribution d'un espace collectif demande souvent un petit effort supplémentaire, mais sans cela le partage pourrait ne servir à rien. En plus de la durée de vie de la ressource, c'est la capacité pour d'autres à la trouver que cela privilégie. L'espace de mise à disposition à choisir dépend donc surtout de la nature de la ressources mise en partage.


L'exemple des ateliers de fabrication numériques (FabLabs)

Les FabLabs ont pour habitude de partager leurs connaissances (tutoriels permettant de reproduire un objet, fichier 3D permettant de l'imprimer,etc.). Dans la plupart des Fab Labs les membres vont documenter leurs projets sur différents espaces pour permettre à d'autres de les reproduire :
  • sur des espaces de documentation physique pour laisser une trace immédiate de sa réalisation, visant plus à faciliter l'appropriation du lieu que le réel partage de ressource (affichage de photos de projets au mur par exemple) ;
  • sur un espace de documentation propre aux membres du lieu pour y documenter les éléments spécifiques à l'atelier ou à l'usage particulier des ses machines (réglages spécifiques, règles d'utilisation...) ou bien des idées de projets non encore développés ;
  • sur des espaces de documentation thématiques gérés collectivement par plusieurs acteurs, lui assurant une plus grande pérennité comme Movilab par exemple, pour y partager des connaissances plus génériques (modèles de documents propres aux fablabs, récits d'expérience, partage des modèles économique des uns et des autres,...).
  • sur des plate-formes internationales concernant le partage de fichiers nécessitant peu de texte (Thingiverse pour les modèles 3D par exemple)


Action ;-) => prévoyez-vous une gare centrale dans votre projet ? avec quel contenu ? Oseriez-vous contribuer sur une Openstreetmap ou mozilla voice ?


Accepter la mort, et tuer dans la joie


Si la durée d'un projet n'est pas de limite de durée ou de cycle bien défini (organisation d'un événement annuel par exemple), le groupe a souvent du mal à y mettre fin quand il n'a plus de raison d'être. Pour mieux accepter la mort d'un projet, certains moments comme les Assemblées Générales peuvent être utiles mais ne sont bien souvent que des temps de bilan et de programmation du prochain cycle. Ils ne prennent que rarement le temps de requestionner les finalités du projet et les engagements des membres au regard du contexte qui évolue.

Il peut dès lors être très utile de définir un cycle de vie adapté au projet, qui correspondra à une durée au-delà de laquelle le groupe ne peut pas fonctionner correctement sans se voir. A chaque cycle, on prend ainsi le temps de faire le point, d'intégrer les évolutions du contexte et de vérifier qu'il y a toujours une raison d'être et une appétence à la continuité du groupe. Questionner régulièrement la mort devient un rituel incontournable qui permet aussi de célébrer les réussites, au-delà de la simple assemblée réglementaire annuelle. Ce cycle constitue un marqueur : si le groupe ne parvient pas à se retrouver assez régulièrement c'est que le projet doit être arrêté ou mis en sommeil.

S'il est préférable d'avoir préparé la mort d'une structure dés le départ pour favoriser la réutilisation de toutes les richesses créées, il n'est jamais trop tard pour s'y mettre. Ainsi, même si l'on prend conscience du manque de capitalisation des ressources au moment de la fin du projet, il est toujours temps de fournir un effort et de profiter d'un dernier souffle d'énergie pour rendre, au bout du compte, l'aventure la plus profitable possible !

Mener une ultime opération de capitalisation des ressources permettra de réaliser le chemin parcouru, de s'assurer de la réutilisation des richesses produites, d'offrir à chacun de partir avec une ressource de départ qu'il pourra réimplanter dans d'autres projets... et de célébrer toutes les victoires passées, souvent occultées par l'omniprésence du sujet de la mort. Composter ses ressources en organisant un dernier sprint de documentation avec les contributeurs actuels et passés permettra très certainement au projet de mourir dans la joie !

Faire l'effort d'améliorer et prendre en compte le monde réel


Une des limites au partage des richesses d'un groupe et leur réutilisation, c'est leur fragmentation. Si chaque effort de partage se limite à la mise à disposition de ressources déjà existantes ailleurs, alors ce partage n'a que peu d'impact. Mieux vaut dès que possible prendre le temps de d'améliorer des contenus mis à disposition par d'autre en y mêlant ses ressources propres.

Deux éléments viennent limiter l'amélioration de contenus existants : l'ego et la flemme. Il est toujours moins évident de satisfaire son besoin de reconnaissance lorsque l'on ne crée pas quelque chose de nouveau mais que l'on se contente d'améliorer à la marge quelque chose d'existant. Pour favoriser la contribution à de l'existant, nous devons veiller à bien garder trace des contributeurs (auteurs) afin que chacun puisse bénéficier de la notoriété de la ressource produite. Il est également plus complexe de repartir d'un contenu existant, puisqu'il sera organisée selon la pensée de son auteur. Repartir d'une base existante nécessitera donc nécessairement un effort supplémentaire pour s'imprégner de la ressource avant de pouvoir y contribuer.

Si la contribution à de l'existant peut paraître difficile, c'est à ce niveau que l'intérêt du partage se fait réellement sentir. C'est lorsque plusieurs sources de contenus s'assemblent que la ressource devient réellement réutilisable. Plus il y a de sources, plus la richesse partagée est dé-contextualisée et plus elle est largement ré-appropriable par d'autres.

Arrivé ici et malgré tout ce qui a été dit sur la compostabilité, revenons à la nature et rappelons nous qu'avant de penser ré-emploi, l'enjeu est d'abord de ne pas surproduire. Si c'est grâce au numérique et au partage de connaissance rendu possible par ce biais que nous pouvons transposer la notion de compost vivant à l'univers des projets; il ne faut pas oublier que nous vivons avant tout sur une planète vivante elle aussi. Cela nous amène nécessairement à considérer l'impact du partage de connaissance sur l'écosystème naturel qui nous permet de vivre. La partage numérique de connaissance a des externalités négatives colossales en terme de consommation d'énergie et de ressources naturelles (minerais notamment).

La prise en compte de l'impact du partage de connaissance immatériel sur le monde physique qui nous entoure rend encore plus indispensable nos capacités :
  • A adopter une culture commune du partage à même de constituer des réseaux de connaissances interconnectés qui ne nécessite pas de les dupliquer (interopérabilité)
  • A constituer des communauté thématiques pour contribuer à des bases de connaissance communes (sur des sujets non-émergeant notamment)

Action ;-) => étrange hein ?


En bref pour favoriser la compostabilité de nos projets
  • Produire en veillant à ne pas donner trop de place au contexte (ou découper) afin que ça puisse servir ailleurs
  • Produire mais pas "reproduire", chercher à mettre de la plus-value (ou sinon renvoyer vers l'existant)
  • Utiliser des formats standards et ouverts afin de permettre à tous de récupérer, modifier sans être tenu "d'acheter" un logiciel couteux
  • Placer au maximum les productions sous cc by sa (sa est important !)
  • Si c'est possible déposer les productions dans des lieux "pérennes" (wikipedia, wikimedia, openstreetmap...)
  • Veiller à accueillir les nouveaux (via une gare centrale par exemple) et laisser partir ceux qui le désirent
  • Organiser régulièrement (à définir selon collectif) un moment de questionnement sur le devenir du projet (et son arrêt possible), ainsi que des temps de capitalisation
  • Se dire de temps en temps que ce qu'on a fait c'est super et que puisque c'est écrit, ben on peut s'autoriser à arrêter le projet "sans regret" puisqu'il pourra revivre ailleurs
Crédits - Licence
Contenu placé sous licence CC by SA, modifié par Gatien Bataille
Contenus agrégés par Romain Lalande sur la base d'un récit-concept de Laurent Marseault, agrémenté d'échanges fertiles au sein du réseau francophone des Communs, de VECAM, d'Animacoop et de Remix the Commons.