L'entraide dans le groupe

Même si nous sommes des coopérateurs nés, certains mécanismes sont nécessaires pour favoriser et faire perdurer l'entraide dans un groupe.

Dans les petits groupes

La réciprocité directe ou don-contre-don

Aider quelqu'un provoque chez l'autre le désir de retourner la faveur (et chez celui qui donne, du plaisir).
Le contre-don a cela de magique qu'il libère la personne de son obligation tout en ne l'annulant pas puisqu'il le transmet.
Ainsi, cette triple obligation, donner-recevoir-rendre génère un état de dépendance réciproque qui prolonge le lien social dans le temps, telle une boucle sans fin.
Si on combine les comportements d'entraide spontanée à cette obligation de réciprocité très puissante, on saisit pourquoi l’entraide est devenue une phénomène si répandu et si puissant chez les humains.
Quelques points d'attention :
  • le laps de temps entre le don et le contre-don est le temps de la dette, celui qui maintient actif le lien social. Rendre trop vite annulerait cet effet
  • faire un don intéressé est rapidement perçu et peut être blessant. En tout cas, il n'enclenche pas les mécanismes d'entraide
  • le contre-don doit être calibré sous peine d'écraser la personne qui a donné et d'engendrer frustration et non coopération

Dans les groupes de taille moyenne

La réciprocité indirecte ou réputation

L'humain est un coopérateur conditionnel : si les autres coopèrent, je coopère aussi, si ça triche, je triche aussi
Dans un groupe plus grand, l'anonymat, de manière très discrète, voire imperceptible, ouvre la possibilité au relâchement des obligations de réciprocité. Cette faille peut à elle seule faire chuter brutalement le niveau général d'entraide.
La réputation est précisément le mécanisme qui permet de garantir un haut niveau de confiance dans le groupe, en plaçant sur chacun une sorte "d'étiquette de fiabilité".
Dans les grands groupes "à taille humaine" (quartier, collectif...), on détecte vite qui sont les tricheurs. Inutile pour eux de chercher à se fabriquer une "fausse réputation" car tout finit par se savoir. La réputation devient donc une information très précieuse. Ce score ressemble à un capital que l'on peut accumuler mais aussi perdre.
Un capital qui nous permet par exemple de bénéficier de l'aide des autres plus facilement.
La réputation est un mécanisme complexe qui se fonde notamment :
  • sur la crainte de la honte
  • la volonté de conserver son honneur
  • l'envie d'appartenir à un groupe (peur de l'avenir, de la solitude)
La réputation augmente lorsque :
  • l'on est observé
  • que les choses réalisées sont "visibles"
Ainsi se construit une confiance mutuelle dans le groupe, une sorte de réciprocité indirecte généralisée.

La réciprocité renforcée ou récompenses et punitions

Coopérer au sein d'un groupe améliore notre réputation et offre "des récompenses" en provenance du groupe.
Mais l'entraide peut aussi être favorisée par la punition ! (ceci a été bien observé)
Dans les groupes où la punition (même coûteuse pour celui qui punit) des "non coopérateurs" est en place, l'entraide est beaucoup plus forte !
Si les pratiques coopératives stimulent les zones de récompense du cerveau, la punition d'un acte non coopératif le fait aussi.
De même, la vue d'un acte non coopératif stimule les zones de dégoût, tout comme voir un coopérateur se faire punir "à tort" !

L'utilisation conjointe des deux mécanismes (réputation + punition) augmente l'efficacité de l'effet prosocial. Et c'est même la stratégie la "moins coûteuse" car au sein d'un même groupe, les punitions deviennent rares étant donné que la simple "menace de punition" suffit souvent à limiter les actes non coopératifs.
Quelques points d'attention :
La punition pour être efficace
  • doit être pour le bien du groupe et pas pour le bien du punisseur
  • doit être légitime et proportionnée
  • doit être parcimonieuse : un mécanisme de dernier recours.

Dans les très grands groupes

La réciprocité invisible

Les normes et les institutions permettent de stabiliser les comportements d'entraide, donc la cohésion d'un groupe, à des niveaux hauts et constants, dans des groupes exceptionnellement grands et hétérogènes, et même entre de parfaits inconnus.

Les normes sociales

Ce sont des standards, des conventions basées sur des croyances partagées qui définissent les comportements acceptables ou non dans un groupe.
Elles sont souvent explicites (lois, coutumes...) mais aussi implicites (la réciprocité par exemple, faire la file...).
La force des normes sociales est d'être une "construction collective partagée".
L'apparition d'une norme repose sur notre étonnante capacité à imiter nos semblables.

Les institutions

La particularité des normes sociales dans les très grands groupes est qu'elles doivent être soutenues et pérennisées par des institutions. Sans ces dernières, il serait impossible de lutter contre la dilution de la réciprocité. Mais plus la taille des groupes augmente et plus les normes ont besoins d'institutions solides et structurées.
La solidarité "chaude" des petits groupes se transforment alors. Au fur et à mesure que le nombre d'interactions augmente avec la taille du groupe, la réciprocité doit prendre appui sur des mécanismes de soutien de plus en plus puissants, externes, artificiels... bref à taille inhumaine c'est la "solidarité froide".
Le système de sécurité sociale par exemple n'est rien d'autre qu'un formidable outil d'entraide : il est puissant mais devenu invisible.

Quelques points d'attention :
  • Les institutions peuvent au delà d'un certain seuil, s'écarter de la raison première de leur création. Plus la taille de l'institution est grande, plus le risque augmente.
  • Elles peuvent par exemple juste chercher à "se maintenir en place" mais aussi parfois desservir leur objet initial !
Les travaux d'A Gorz et I Illich sont éclairants à ce propos