Les trucs et astuces des projets collectifs

La coopération est obtenue en agissant sur l'environnement plutôt que par la contrainte des personnes.
Il faut chercher à façonner l'environnement pour arriver aux trois conditions qui facilitent la coopération :
  • Réconcilier l'intérêt individuel et collectif
  • Multiplier les possibilités sans qu'aucune ne soit critique
  • Faciliter le passage à l'acte

1 : Chercher à créer des environnements d'abondance

La coopération et le partage sont simples quand on est dans une économie du don.
Cette économie du don émerge d'autant plus facilement
  • que l'on se connaît bien, très bien (dans une famille, il n'y a pas de comptabilité. Tout fonctionne aux dons (ou presque quand on a des ados ;-)
  • que les biens sont abondants
    • Il est facile de créer de l'abondance dans l'immatériel (donner un poisson ou apprendre à pêcher)
    • Si le matériel est peu abondant, on peut créer l'abondance autour du bien (peu de pelles mais une abondance de personnes prêtent à les utiliser)
  • que l'abondance est bien répartie pour éviter le retour à une économie de la consommation

2 : Créer des horizons à long terme

Si la stratégie dominante dans le cas d'une rencontre unique est souvent la trahison Voir le dilemme du prisonnier , c'est la méthode CRP (Coopération, Réciprocité, Pardon) qui est la plus efficace lorsqu'il y a de nombreuses expériences itératives communes. Une communauté "qui dure" permet de multiplier les occasions de tester notre confiance et donc de favoriser une convergence vers la coopération.

Il existe des règles pour éviter que la communauté ne dévie:
  • Donner à chacun une vision à long terme pour permettre le développement de comportements du type CRP
  • Développer un historique (y compris les trahisons du début) pour préserver l'héritage commun pour éviter les "retours à zéro"
    • Ceci nécessite donc de disposer d'un espace accessible à tous pour garder "des traces" (les archives de la liste de discussion, un récapitulatif des grands débats, une ligne du temps avec les grandes étapes y compris les moins glorieuses)

3 : Garder des traces, rendre visible

Quand il n'y a pas de traces, il faut réinventer l'histoire sans cesse (et c'est épuisant !)

  • Mettre en place un espace centralisé, facilement modifiable et accessible avec
    • tous les contenus, même non finis (et comment les compléter)
    • les traces des échanges de la liste de discussion (même si peu lu, au moins c'est dispo, pas caché)
    • l'histoire de votre projet une ligne du temps (un exemple )
      • pour éviter de repasser par les tracas "peu coopératifs" des débuts
      • pour permettre aux nouveaux d'entrer dans le projet plus facilement

4 : Mettre en place des mécanismes d'évaluation par l'estime

Dans les projets collectifs où les membres sont "non contraints", les mécanismes classiques d'évaluation sont inefficaces.
Il faut abandonner le pouvoir coercitif (notamment lié aux titres / syndrome de Peter) pour laisser le mécanisme d'évaluation par l'estime se mettre en place et les membres faire leur travail d'autorégulation. La valeur est dans l'estime que me portent les autres au regard de ce que je fais pour moi, pour eux, pour le monde...

L'évaluation par l'estime se fait :
  • A posteriori : l'estime s'acquiert sur base des actions réalisées (les titres c'est plutôt "à priori", parfois pour attirer les gens)
  • En continu : l'estime fluctue en continu sur base des actions réalisées. Elle se perd ou se gagne à tout moment (assez différent d'un titre qu'on ne peut me retirer si facilement)
  • En prenant en compte le subjectif : l'estime a une valeur "propre à chaque donneur", elle ne peut s'échanger ou être thésaurisée
  • Par l'ensemble de la communauté : l'estime se gagne ou se perd face au regard des autres (je ne peux réclamer de l'estime...)
L'évaluation par l'estime ne s'accommode pas des titres car ils ne fonctionnent pas sur ces bases.

Pour que ce mécanisme puisse s'enclencher, il est essentiel que chacun voit qui fait quoi...
Impossible en effet de recevoir de l'estime des autres, si personne n'est au courant que c'est moi qui est fait cette action !
C'est une tâche "critique" de l'animateur de projet collectif : rendre visible !

5 : Minimiser les besoins de départ

"Un long voyage commence par de tous petits pas..."
Il faut minimiser les besoins de départ d'un projet pour lui laisser plus de chance de se développer.
  • A trop avoir attendu les moyens... la communauté et son envie de démarrer a disparu ;-(
  • Les gros moyens sont arrivés mais les contraintes aussi ;-) => il va falloir planifier ! (et pourquoi pas ? mais on sort du collaboratif alors)
  • Le projet est tellement bien décrit qu'il n'y a plus de marche de manœuvre pour les membres
  • Etre pragmatique et utiliser les outils disponibles facilement (oui parfois l'outil de départ n'est pas aussi idéal ou aussi libre qu'on le souhaiterait... )
Le porteur de projet doit déjà disposer d'une sécurité matérielle suffisante.
  • Est-il surmené ? Est-il disponible ou noyé sous une liste de "culpabilité" ?
Il faut réutiliser au maximum ce qui existe par ailleurs pour atteindre la masse critique.
  • Ne partez pas d'une page blanche. Sur n'importe quel sujet il est possible d'amasser un peu d'info pour pouvoir tout de suite passer à l'action !
Les coûts de coordination et de communication doivent être minimisés.
  • A priori, un pad, un wiki et une liste de discussion devrait suffire pour démarrer n'importe quel projet collectif (cool ce sont 3 outils gratuits ;-)

De cette façon,
  • Vous mettez le groupe en situation d'agir rapidement car agir c'est permettre aux gens de déployer leur potentiel d'action dans un monde en crise
  • vous profitez de ces premiers petits pas pour faire la démonstration collective du besoin

6 : Minimiser les risques d'échec par la maîtrise des tâches critiques

Dans tous projets, il existe des tâches critiques qui si elles ne sont pas gérées mettent le projet en très grande difficulté (animation, gestion du serveur, modération de la liste de discussion, gestion des tensions...)
Les tâches confiées aux contributeurs doivent être autonomes et non critiques pour sortir du cadre de la loi de Brooks
  • Les contributions demandées doivent être courtes, simples et autonomes
  • Le coordinateur doit être le centre de tous les liens opérationnels et garder la maîtrise des tâches critiques
  • Le projet doit se suffire d'un minimum de contributions
    • si les risques critiques sont réduits à "zéro", le projet devrait pouvoir se satisfaire des contributions ... de l'animateur ;-) Toutes les autres contributions sont du "bonus" !

7 : Composer avec les limites cognitives humaines

Les humains sont "limités" dans leurs capacités cognitives mais souvent ne le savent pas ;-)

  • Le travail à plus de 12 est compliqué
    • Maintenez des groupe de travail à taille raisonnable
  • L'humain veut tout en même temps complexité, complétude, cohérence Voir la tragédie des 3C
  • Un certain nombre d'humains pensent qu'on ne peut travailler qu'en présence (ou que à distance mais ils sont plus rares)
    • veiller à mélanger temps de travail en présence et temps de travail à distance
    • veiller à ne pas négliger les temps "à distance" afin de ne pas réinventer la roue à chaque réunion faute d'avoir eu un entre-deux "plein"

8 : Le temps des opportunités

Dans un environnement d'abondance, complexe et imprévisible, il faut envisager son projet autrement, changer de regard.
"Vivre c'est risquer de mourrir" et "Ne pas échouer et réussir sont deux choses assez différentes"

Pour cela il faut :
  • Définir les objectifs et non les résultats attendus (dites plutôt : "le plus possible de ...")
  • S'interroger sur ce que l'on veut "juger"
    • L'apport réel du projet ? (même si colle plus trop avec objectifs initiaux)
    • Son adéquation avec les objectifs initiaux (même si entretemps, ils ne sont plus pertinents)
  • Piloter à l'attention et pas à l'intention
    • Ce qui pose la question de la place de la "structure" (quand la structure prend le pas sur l'objet)
  • Faire confiance au groupe et à sa capacité à gérer les "parasites" (surtout si vous avez rendu visible les contributions)
  • Accepter d'être un fainéant opportuniste :-)
    • Saisir toutes les opportunités qui passent pour faire avancer le projet à moindre coût et garder ainsi du temps pour les prochaines opportunités
    • Ne pas hésiter à réutiliser, remplacer ou refaire à partir de l'existant

9 : Utilisez les outils à bon escient

"Si votre seul outil est un marteau, tout commence à ressembler à un clou" Proverbe japonais
  • Etre pragmatique et démarrer avec les outils existants même s'ils ne sont pas aussi parfaits ou aussi libres qu'on le souhaiterait
    • Accepter que "l'outil idéal est l'outil dont j'accepte les limites" (la quête de l'outil idéal est souvent longue et perdue d'avance ;-)
    • Eviter de mettre en place des "usines à gaz" que personne ne maîtrise ou n'a besoin...
  • Mettre en oeuvre les outils et méthodes en présence avant de les envisager à distance
    • Car on sur-estime (souvent) les compétences informatiques au sein de la communauté
  • Créer des tutoriels pour permettre à chacun de se "rassurer" sur l'outil, la méthode
    • Pour une utilisation possible maintenant qu'il est seul à distance...
    • Pour ne pas être seul à maîtriser l'outil et devenir un "maillon faible"
  • Ne mettre en place les outils que quand le besoin s'en fait sentir (adhésion nettement plus grande)
  • Ne changer d'outil qu'après en avoir discuté et s'il y a une réelle plus-value (ne pas en avoir trop non plus)
  • Travailler la notion d'outil convivial d'Illich (vous et avec les membres)

10 : Veiller au processus et à l'animation

Commencer par soi-même en appliquant en interne ce que l'on souhaite voir en externe (crédibilité)
L'animateur est souvent une personnalité "rare", très présente qui peut rendre le projet totalement "dépendant" d'elle (si elle n'y prête attention)
  • Eviter de devenir le créateur fossoyeur ;-)
Faire rapidement monter en compétences les motivés afin de ne pas créer de "goulots d'étranglement"
  • Eviter de devenir le maillon faible. Ce projet devrait pouvoir vivre "sans vous" (animateur ou facilitateur ?)
Repérer les "bons suiveurs" et leur confier un rôle, notamment dans le soutien à la participation (en réagissant les 1er par ex)
Aucun outil seul n'est en capacité d'animer des humains (aujourd'hui... mais sans doute pour longtemps encore)
  • Ne vous laissez pas bercer, aucun outil ne gérera à votre place, au mieux il vous aideront un peu (béquille ou jambe de bois ?)
Gérer les départs (Et puis merde), débattez avec le partant et questionnez le collectif sur ce départ
  • Si départ il y a, il sera explicité en dehors. Autant s'y préparer, voire en profiter pour se questionner sur notre fonctionnement
Gérer les conflits, rendez visible les processus à l’œuvre (cycle mimétique par exemple)

11 :Traiter en amont la question du partage

Dans tous les projets, la perspective de produire et laisser dans un carton n'a rien de passionnant, ni de motivant.
Mais si les productions ont pour vocation d'être partagées, en a t on réellement parlé entre-nous ?

Dans la mesure du possible :
  • Mettez rapidement ce point en débat (et levez les lièvres ;-)
  • Offrez un cadre clair aux éventuels futurs contributeurs
  • On ne doit pas tout partager, mais réfléchissons-y
    • Ma structure ou mon objet social ?
    • Mon objectif dans ce projet, la cause pour laquelle j'investis mon temps
  • Montrez, formez à l'utilisation des différents types de licences

  • Rendez visible ce que le "libre" rend possible dans nos vies (la roue, le feu, le html....) et les limites (dérives) de la propriété intellectuelle.

12 : Réduire les risques à participer

"Entrer dans un projet ne doit être un engagement ni à y contribuer ni à y rester"
Pour que les bons contributeurs ne perçoivent pas la participation à votre projet comme un engagement à risque, il faut à la fois qu'ils aient une certaine sécurité matérielle mais aussi que le groupe soit ouvert. Un groupe ouvert permet à chacun de sortir à tout moment et encourage la multi-appartenance à l'initiative du membre.

13 : Abaisser le seuil de passage à l'acte

Le secret de l'implication est dans l'abaissement du seuil de passage à l'acte.
Modifier sa façon de faire n'est pas simple... c'est souvent un processus de bascule qui ne peut s'opérer que si les conditions sont là
  • Etre KISS (Keep It Simple and Stupid - Restez bête et simple)
    • Simplifier la communication, les démarches, les outils : faire sauter les mot de passe ;-)
  • Rendre visible et faire circuler les lieux d'investissement. Faire des listes de tâches simples
  • Eviter de faire partager-collaborer sur des sujets "à enjeux" (à risque ou vital) pour les membres... Jouez d'abord à coopérer !
  • Eviter "C'est compliqué, ça change tout le temps... vous cherchez à me dégoûter ou quoi !"
  • Etre hyper-réactif (mais raisonnable ;-) / Recevoir une réponse à sa proposition d'aide 3 semaines après l'envoi n'aide pas à s'impliquer...

14 : Faire monter les motivations

"Le temps est le seul bien rival" (quand je l'ai donné, il est perdu pour toujours)
Pour que les personnes s'impliquent et restent motivées il faut faciliter les mécanismes naturels de contrepartie :
  • Le développement de savoir-faire : quand j'apprends je reste
    • Eviter le "Ici on produit rien, on apprend rien... c'est de la réunionite aiguë !"
    • Mettre les membres en posture de formateur, faire c'est apprendre
    • Organiser des temps de "retours d'usage" après avoir tester une pratique nouvelle ou un outil => faire monter le niveau de conscience
    • Proposer des tutoriels, des séances de formation dès que des "envies" apparaissent
  • Le plaisir : quand je prends du plaisir, je reste
    • "Quand c'est intéressant mais chiant, pas marrant", on reste souvent bloqué sur le "chiant, pas marrant"
    • Prévoir des temps de convivialité : boire des coups
    • Faire du beau, sacraliser les productions !
  • La reconnaissance : quand je suis reconnu dans mon travail, je reste
    • Nommer les contributeurs des productions pour favoriser les mécanisme d'estime au sein et en dehors de la communauté
    • Valoriser le moindre de contribution (même modeste) en la rendant visible aux yeux de tous

15 : Prendre de la hauteur pour mesurer son apport (pour soi, pour les autres, pour le monde)

Le nez dans la guidon, on en vient parfois à oublier de se questionner sur le sens de son action.
Ce qui vaut pour l'animateur, vaut aussi pour les membres.
"Ca sert à quoi tout ça ? pour moi, pour nous, pour l'humanité ? Mon temps est un bien "rival" (quand je vous le donne, il est perdu)"

Il est utile de :
  • Rendre visible le sens, les valeurs de votre projet de temps à autre via un rappel à tous, via un moment convivial une fois l'an...
  • Favoriser les petites expériences de coopération et d'en discuter
  • Rappeler qu'à vouloir atteindre la perfection, on risque de passer à côté de l'oeuvre de sa vie "
  • Rediscuter de temps à autre des buts de vos productions (et du choix de la licence)